« Face à l’IA, la curiosité n’est pas un vilain défaut »

L'intelligence artificielle est un sujet en vogue dans notre secteur, l'occasion de faire un point avec l'agence Havas Paris sur le sujet.

par Maud Largeaud , AdForum

Nous avons interrogé Ludovic Chevallier (à gauche), head of Havas Paris Social, et François d'Estais (à droite sur la photo), senior content manager Havas Paris, qui partagent leurs opinions et visions sur les intelligences artificielles dans le secteur de la communication.

 

 

  •  Vous êtes à l'origine d'une opération pour KFC sur Midjourney. Comment est née cette idée et quel en a été l’accueil ?
 

Nous avons voulu “hacker” le fonctionnement de Midjourney en transformant l’IA en média. Sur Midjourney, des milliers d’utilisateurs briefent simultanément l’IA sur un même canal Discord. Les visuels créés apparaissent tous dans ce canal, et sont donc visibles de tous. Chaque utilisateur doit ensuite scroller parmi la multitude de visuels créés pour atteindre son visuel. Nous avons donc eu l'idée d'inonder les canaux de l’IA de requêtes de « poulet croustillant KFC », générant en moins d’une heure 10 000 visuels de tenders, vus par 300 000 personnes. De quoi donner faim à tout Midjourney et offrir une formidable visibilité à la marque KFC.

 

  • The Next Rembrandt, c'était en 2016. Et pourtant, ce n'est que depuis quelques semaines, voire mois que les expériences créatives avec l'intelligence artificielle fleurissent dans notre industrie. Pourquoi maintenant ?

Ces IA génératives n’ont rien de révolutionnaires. Elles se préparent dans la Silicon Valley depuis dix ans. En revanche, elles ont changé de statut. Le surgissement de DALL-E et ChatGPT ont fait passer l’intelligence artificielle du statut d’invention à celui d’innovation : autrement dit, la découverte a désormais trouvé une diffusion auprès d’un large public… jusqu’à devenir l’application adoptée la plus rapidement de l’histoire ! C’est ce qui explique que les expériences fleurissent aujourd’hui : ces IA peuvent désormais être comprises et appréhendées par tous. A la différence du Web3, du metaverse, des NFT, ou des cryptomonnaies, qui présentent finalement des barrières matérielles, économiques et technologiques élevées, les IA génératives se détachent des buzzwords qui ont rythmé les dernières années par leur utilité et leur efficacité bluffante dès la première utilisation. Elles commencent à s’intégrer très concrètement dans le quotidien, avec des outils à la portée de tous, qui se manipulent avec un langage humain.

 

  •  Voyez-vous les AI devenir des vecteurs de création ou des machines à création en tant que tel ?

Nous voyons les IA génératives comme des outils, qui ne vont pas tuer les expertises mais les améliorer : c’est d’ailleurs comme ça qu’on s’en sert ! De notre point de vue, elles sont des assistants efficaces, mais consensuels, or le jeu de la créativité est justement de faire jaillir une originalité, une singularité, loin du modèle probabiliste et statistique de ChatGPT. Elles sont aussi une pression positive pour les métiers créatifs, et nous invitent à sortir du lot avec des idées qui n’ont jamais été inventées, et qui ne pourraient être créées par des intelligences artificielles.

 

  • En termes d'influence et de réseaux sociaux, quelles seraient les perspectives et limites ?

Plusieurs utilisations voient le jour, déjà du côté des médias : Brut réalise des vidéos entièrement générées par des IA, avec des avatars de journaliste, quand Buzzfeed va personnaliser des contenus pour être plus en affinité avec ses audiences. Personnalisation, réactivité, coûts réduits : les promesses de ces IA sont nombreuses, mais nécessitent un accompagnement accru pour l’utiliser pertinemment. Les limites sont celles qu’on leur donnera, au travers des régulations politiques ou des bridages algorithmiques. Les problèmes sont aussi nombreux que vertigineux notamment sur la production massive de fake news à coût réduit, la reproduction de biais sexistes ou racistes (voir l’opération de #JamaisSansElles pour le 8 mars), ou la protection des artistes et des droits.

 

  • Il y a 25 ou 30 ans, on prédisait la disparition du livre imprimé au profit de sa version numérique, donc, comment voyez-vous l'avenir pour certaines de nos professions ? Difficile d'anticiper tous les usages, mais, par exemple, un community manager ou un créatif doit-il devenir un prompt expert au risque de se voir remplacé ? Comment s'adapter ?

The Buggles chantait Video Killed the Radio Star en 1980. Plus de 40 ans après, l’audio sous toutes ses formes (à commencer par le podcast) reste un médium incontournable. Tout comme le Thermomix n’a pas tué le cuisinier ou tout comme Canva n’a pas tué le graphiste, les IA génératives ne vont pas tuer les communicants - du moins pas ceux qui excellent. Oui il y a de nouvelles compétences à apprendre et intégrer et ça va ouvrir la voie à de nouveaux talents pour se développer : avec le prompt engineering, les IA vont ouvrir l’opportunité à des nouveaux talents de se faire une place dans une démarche de co-création et d’explorer de nouveaux territoires. Finalement, face à l’IA, la curiosité n’est pas un vilain défaut : elle nous invite à réinventer nos métiers tout en revenant à leur racine, à savoir l’audace, la créativité et l’exigence. C’est une opportunité à saisir collectivement pour continuer à faire grandir notre métier ! 

 

Havas Paris
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Puteaux, France
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